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Octobre 2014

« La colère est mauvaise conseillère » C’est l’automne dans les cités.


Quelques mots échangés ce soir avec un de nos plus éminents criminologues, en déplacement aux antipodes (en Chine, pour être précis)  m’ont amené à réfléchir sur des événements qui auraient pu tourner au drame.

C’est à petite échelle, comme souvent dans ce que je décris, mais c’était assez marquant pour faire un peu la « une » du quotidien local ces deux derniers jours.

Vous retrouverez le papier assez facilement, le quotidien local à Nice, il n’y en a qu’un.

Pour résumer les faits, c’est l’histoire d’un couple en attente de logement qui n’a plus de toit, et plus précisément c’est le geste d’un homme qui a décidé délibérément de forcer la porte du principal bailleur social des Alpes Maritimes pour tenter de s’immoler par le feu, imbibé d’essence.

Les faits, dans leur brutalité, sont terribles. Le choc, pour beaucoup de gens, est très fort. A commencer par les agents du siège qui n’ont aucune habitude – et c’est normal, et c’est heureux – d’actes aussi violents.

On ne peut pour autant résumer l’affaire comme le fait avec beaucoup de talent le journaliste local à une tragédie familiale heurtée par la dureté de notre société.

On ne peut pas non plus la réduire à un acte isolé de folie même si « ira furor brevis est ».


Je voudrai d’abord dire toute ma sympathie à ceux qui ont failli être victimes de cet acte.

Je condamne fermement cet acte de violence inadmissible et inacceptable, comme l’a justement relevé la Sénatrice des Alpes Maritimes et Présidente de l’Office, Madame Dominique ESTROSI-SASSONE en des termes parfaitement clairs.

J’ajouterai moi aussi mes félicitations aux agents qui ont su en un instant maîtriser l’individu au risque de brûler avec lui, préservant ainsi outre cette personne contre elle-même, tous ceux alentours. Ils peuvent être fiers de ce qu’ils ont fait là, tout comme leur chef, celui qui les a formés et qui leur a donné cet esprit de corps, peut être fier d’eux et fier de son travail.

Car c’est là un aspect ingrat dont les journaux parlent rarement, mais pour qu’un garde sorte de derrière sa guérite et agisse, il y a un grand travail derrière lui sur la grandeur et la nécessité de sa mission, sur le risque accepté qu’il va prendre pour la collectivité « au cas où ». Tout ce travail, ne sert qu’un bref instant, mais il est capital car il fait la différence entre rester effrayé et se lancer dans l’action au péril de sa propre sécurité. Incontestablement ce travail avait été fait. Le résultat est là. Bravo.

« Peu importe qu'on ait réussi à le maîtriser » ne sera pas mon commentaire favori.

Bravo aussi aux forces de l’ordre, à la CDI, la Compagnie Départementale d’Intervention de la Police Nationale, qui a vite et bien pris le relais. Ne les oublions pas.

Ensuite j’ai lu comme vous pourrez le faire dans les colonnes du meilleur (et seul) quotidien de la Côte d’Azur le récit du parcours de cette famille qui venait demander un logement.

Très belle histoire, je ne conteste ni le talent du rédacteur ni la véracité de ce qui est écrit.


Je ne peux toutefois m’empêcher de relever le détour d’une phrase : « mon mari, dont les papiers viennent d'être régularisés, ne pouvait pas trouver d'emploi ». La situation de l’auteur du geste criminel n’était pas si régulière que cela.

Connaissant très bien les difficultés de ceux qui se retrouvent à la rue pour contribuer activement et personnellement à les aider, je le relève.

En point de départ, il y a une situation irrégulière.

 Ensuite il y a comme c’est le cas le plus souvent, le rapport 2014 d’ATD Quart Monde l’explicite, un cumul de problèmes qui conduit à la perte du toit quand il y en avait un au départ. C’est très dur.

Il faut savoir – et l’article l’évoque – que d’autres dispositifs que le bailleur social existent, et dans ce cas il est clair qu’ils ont été utilisés. Ces gens en ont effectivement bénéficié. Compatir avec la situation d’une mère et de ses enfants à la rue n’interdit pas d’être lucide et d’établir clairement « l’arbre des causes » qui démontre que l’origine du problème n’est pas le bailleur social ou la méchanceté sous-entendue d’une administration française qui n’a jamais envoyé de carton d’invitation pour venir séjourner en métropole, et qui pour autant paie diverses prestations.

Je retrouverai peut-être demain soir cette famille devant moi dans la rue, pour une distribution de soupe chaude, alors je ne me moque pas d’eux, je ne les méprise pas, j'énonce juste les faits. Honoré de BALZAC et Victor HUGO sont dans mes auteurs favoris, mais c’est juste un peu fatiguant de recevoir éternellement le rôle de la famille THENARDIER, alors que nous avons déjà du mal à aider.

Venons-en à l’acte que cet homme a délibérément choisi d’exécuter. Car sauf erreur personne ne se promène habituellement avec un bidon d’essence pour aller remplir des papiers dans un immeuble. Si vous en connaissez pas loin de chez vous, pensez à prévenir le SAMU avant un drame…

Cet acte, qui est représenté comme la protestation ultime depuis Jan PALACH le 19 janvier 1969, a été décrit comme un acte désespéré. Je ne vais pas contester ce terme.

Disons simplement que la catégorie des désespérés, des suicidaires, voisine de celle des « fous » est bien commode.  Très inquiétante pour tous ceux qui se trouvent à proximité immédiate, mais commode pour classer le dossier sans suite. Voisine de la folie seulement, ce qui permet d’éviter l’internement à l’auteur d’actes (dégradations volontaires de biens privés en réunion) délictueux.

En résumé, objectivement, presque tout le monde y gagne.

Les uns pour avoir la clémence du tribunal et la compassion des médias, les autres pour regarder le dossier de plus loin.

En dehors de l’audience, nul n’aura besoin de commenter comment dans cette folle journée cet homme en est arrivé à ne plus croire à rien d’autre qu’en un bidon de pétrole pour remettre en route « Le moteur de l'espoir grippé » en allant fracasser au passage des portes vitrées. C’est pourtant là le cœur du problème. C’est même en termes de sécurité ce qu’il y a de plus important si on ne veut pas que d’autres fassent demain de même, voire pire encore.

Aucun maître-chien, aucun policier, ne peut remplacer le dialogue, l’écoute, la compréhension d’un cas social si dur. Maintenant, que faut-il changer ? La race du chien policier ? La taille des gardes ? Non.

Cherchez bien, vous allez peut-être trouver…


Dans cette affaire, qui laisse pour l’heure les adultes de cette petite famille à la rue, personne n’est mis en cause. Les irrégularités du départ semblent gommées, la garde à vue devient une formalité administrative, et « on » est prié (la famille THENARDIER, voir plus haut) de trouver une solution de logement. A défaut du Ciel, qui n’existe pas dans une république laïque, les autorités sont invitées  par voie de presse  à se bouger : « L'espoir renaît enfin. Cet espoir qui avait disparu il y a deux ans. »

On imagine sans peine la joie du petit personnel au guichet d’entrée du bailleur social en voyant revenir ces braves gens pour signer un bail. Ce n’est pas tout-à-fait ce qu’ils espèrent du Tribunal.

Confronté dans la journée, au quotidien, à la violence (le même jour à la même heure, à l’autre bout de Nice, dans les rues de la Zone Urbaine Sensible de l’Ariane),  je ne peux que la condamner.

Confronté parfois la nuit à la plus grande misère en donnant bénévolement des repas chauds à ceux qui – comme cette famille – n’ont plus rien, pas même un toit, je ne vois que le dialogue actif pour éviter que ça recommence. « Des identités humiliées, contestées sont des identités qui ont tendance à se radicaliser. » disait un ancien Président de la République. C’est aussi cela qu’il faut éviter.

Sans fixation sur ce cas précis, car il trouvera sa solution, je n’en doute pas.

En pensant aux autres, à tous les autres que l’on croise la nuit, et qui espèrent.

Le 13 novembre 1974 Monsieur Yasser ARAFAT disait, dans un célèbre discours aux Nations unies, à New York : « Je suis venu porteur d’un rameau d’olivier et d’un fusil de révolutionnaire, ne laissez pas tomber le rameau de ma main ».

Que les fusils restent au râtelier, pensons à nos rameaux d’olivier pour recevoir tous ceux qui en ont besoin comme ils le méritent.

Parlons nous, parlons avec eux. Tout n’est pas possible, mais il est heureusement toujours possible de parler.  

Prenons le risque. « Comment peut-on vivre si  on ne prend pas de risque ? »

Sans peur, sans ressentiment, sans faiblesse, dans le respect mutuel. A commencer par celui des lois de notre République Française.


P.S. : Je ne commente volontairement dans cet article que les éléments publiés publiquement. Je garde par devers moi tout ce que j’estime relever de la discrétion professionnelle. Au risque de décevoir beaucoup de personnes avec lesquelles j’ai pu débattre au-delà des horaires normaux de service, et que je remercie pour l’éclairage direct qu’elles m’ont aimablement donné. Je pense en particulier aux cadres et agents de l’Office que je ne peux ni ne dois nommer, et aux syndicalistes, policiers, patron de bistrot, élu ou même curé de campagne, qui ne recherchent pas les feux de la rampe. Il y en a. Même en Zone Urbaine Sensible.

Je cite Dominique ESTROSI-SASSONE, Sénatrice des Alpes Maritimes, parce que sa prise de position me paraît juste en fonction des éléments qu’elle a eus.  L’ancien Président de la République que je mentionne par 2 fois c’est Nicolas SARKOSY. C’est sans aucun sous-entendu politique, j’ai très bien entendu les mots, il les a prononcés devant moi (et 4.000 autres) à Nice – Acropolis récemment. Concernant Jan PALACH et Yasser ARAFAT, cela relève de l’histoire du monde. Il faut le savoir, et savoir s’en souvenir.

Ceux qui ne sont pas d’accord avec moi peuvent m’écrire.

Je réponds volontiers dès que j’ai le temps, et souvent le samedi.


A suivre...  En automne... encore...

A relire... Sur MEDIAPART !

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